Le projet Frexus // Une réponse aux conflits liés aux ressources dans la région du Sahel
Cet article souligne l'ambition du projet Frexus d'améliorer la sécurité et la résilience climatique dans la région du Sahel grâce à l'utilisation d'un outil global d'alerte précoce et d'un outil d'analyse locale développés par le projet Frexus avec le Partenariat pour la paix et la sécurité de l'eau.
Améliorer la sécurité et la résilience climatique dans un contexte fragile
La région du Sahel a connu une détérioration de sa situation sécuritaire au cours de la dernière décennie, marquée par une forte augmentation des conflits armés en raison de la prolifération des groupes rebelles et des activités terroristes. En parallèle, un accès réduit aux ressources naturelles joue un rôle majeur par rapport aux tensions entre les communautés. Le Sahel a été déclaré par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) comme étant l'une des régions les plus vulnérables au changement climatique dans le monde. Avec une population en forte croissance, qui est actuellement estimée à plus de 150 millions d'habitants, et dont les revenus dépendent principalement de l'agriculture et de l'élevage, les pays sahéliens sont confrontés à une forte pression sur les ressources en eau, en terre et en énergie, exacerbée par le changement climatique et provoquant une concurrence et des conflits entre les différents groupes d'utilisateurs.
Le projet et son développement
Le projet Frexus, qui intervient actuellement au Niger, au Mali et au Tchad, a pour objectif de contribuer à la résolution pacifique des tensions sociales et des conflits entre groupes de population dans des zones fragiles, provoqués ou exacerbés par les effets néfastes du changement climatique. Le projet vise une gestion des terres, et des ressources naturelles et des écosystèmes plus résistante aux conflits et au climat dans les communautés ciblées, aux niveaux local, national et transfrontalier. L'approche intégrée Nexus adopte une gestion intersectorielle des ressources en eau, en terres et en énergie afin d'atténuer les effets négatifs entre ces secteurs et leurs groupes d'utilisateurs respectifs, de promouvoir la résilience climatique et la gestion durable des ressources. De ce fait, le projet Frexus vise à permettre aux autorités et aux communautés se trouvant dans des zones fragiles confrontées aux impacts du changement climatique d'aborder ces questions de manière pacifique, coopérative et intégrée. Le projet est cofinancé par l'Union européenne (UE) et le ministère fédéral allemand de la coopération économique et du développement (BMZ) et mis en œuvre par la GIZ. L'objectif principal est de promouvoir une résolution pacifique des tensions sociales et des conflits entre les groupes de population qui sont causés ou exacerbés par le changement climatique dans les zones fragiles, à savoir les trois États susmentionnés de la région du Sahel. Le projet travaille en collaboration avec les ministères sectoriels des trois pays, ainsi qu'avec ses partenaires régionaux, l'Autorité du bassin du Niger (ABN) et la Commission du bassin du lac Tchad. Lancé en janvier 2019 (avec une date d'achèvement fixée à juin 2023), le projet Frexus a été divisé en trois phases principales : diagnostic, développement de plans d'action et mise en œuvre.
Afin de faciliter la mise en œuvre du projet Frexus, des études d'évaluation des risques climatiques locaux ainsi que des analyses de conflits systémiques ont été menées dans les zones d'intervention pour permettre d'identifier l'impact des risques liés au changement climatique sur la sécurité humaine et les ressources naturelles, ainsi que les conflits existants et potentiels qui y sont liés.
En complément, des outils analytiques ont été développés en coopération avec le Partenariat pour la paix et la sécurité de l'eau (WPSP) afin d'évaluer les liens entre les ressources naturelles, les impacts du changement climatique et les conflits. Le premier est l'outil analytique global, qui permet de prévoir les conflits émergents sur une échelle de 12 mois. Le second est l'outil analytique local - en cours de développement - qui permet d'évaluer les liens entre la pénurie de ressources, la gouvernance, les effets du changement climatique et le déclenchement et l'escalade des conflits. Cet outil est co-développé avec les parties prenantes locales pour l'adapter à la spécificité de la situation locale. Il sera testé au niveau local et appliqué dans les zones d'intervention. Une attention particulière sera accordée aux populations les plus vulnérables (femmes et jeunes). L'outil local vise à intégrer l'évaluation des risques climatiques et les études d'analyse des conflits afin d'établir une résolution locale de la gestion des ressources naturelles. La section suivante met en évidence le développement actuel de l'outil analytique local dans une zone pilote.
La promotion de la paix au Sahel - La situation de Dosso, Niger
La région de Dosso au Niger a été identifiée comme l'une des trois zones de projet pilote car elle est soumise à de forts conflits liés aux ressources naturelles et à l'accès aux terrains pastoraux. L'étude, coordonnée par Abdou Boko Boubakar (conseiller technique du projet Frexus au Niger), visait à comprendre les facteurs clés et la dynamique des conflits dans la région et à déterminer les facteurs de paix possibles afin d'atténuer les conflits.
Démarche méthodologique
Pour garantir la validité des résultats, l'étude a adopté une approche méthodologique en trois étapes. La première étant une série d'entretiens et de groupes de discussion avec des acteurs clés des conflits identifiés au niveau local, régional et national afin d'exclure la possibilité de " parties non-visibles ". Ensuite, il faut étudier les réalités locales et les épreuves rencontrées. Enfin, la présentation des résultats dans le cadre d'un atelier de validation afin de mettre en évidence les préoccupations, de recueillir les réactions des différentes parties prenantes et d'établir des recommandations.
Le niveau national (Niamey) a intégré des organisations de la société civile (OSC), ainsi que des autorités traditionnelles et administratives. Le niveau régional (Dosso) a également vu la participation des OSC, des autorités traditionnelles et administratives ainsi que des ministères techniques (Agriculture, Eau, Environnement). Le niveau local (Farrey & Karrel) a cherché à inclure des acteurs individuels (agriculteurs, pasteurs, organisations de jeunes et de femmes).
Résultats au niveau régional et local
Au niveau régional, une boucle causale des conflits a permis d'identifier la gestion inadéquate des zones pastorales par les autorités traditionnelles comme étant le Facteur Central de Conflit (FCC). De multiples sous-facteurs ont été identifiés comme exacerbant le FCC, à savoir un manque de mécanismes durables pour l'utilisation des ressources, la mise en œuvre inadéquate de la gestion publique des ressources naturelles, une non-conformité de l'allocation et de l'utilisation des terres, un réseau d'infrastructures pastorales inadéquat et insuffisant, et enfin une perception d'inégalité d'accès aux ressources naturelles menant à la compétition entre les groupes d'utilisateurs.
Au niveau local, dans la zone pastorale de Farrey, la source principale de conflit surgit entre les agriculteurs et les éleveurs, les terres pastorales étant occupées par des agriculteurs gênant les éleveurs. Le FCC est identifié comme étant des agriculteurs locaux visant à maintenir leur position sociétale relativement dominante. La FCC est exacerbée par une protection insuffisante des espaces pastoraux, une faible acceptation de la législation et de la réglementation foncière par les autorités traditionnelles et une remise en cause des vocations des espaces pastoraux reconnues par le cadre juridique régional (Schéma d'Aménagement Foncier, SAF). Au sein de la zone pastorale de Karrel, la source de conflit provient d'un manque d'infrastructures pastorales (infrastructures hydrauliques notamment) identifiées comme le FCC. Ce dernier est exacerbé par les infrastructures pastorales des exploitations endommagées par le bétail.
Solutions identifiées au sein de l'Espace Pastoral de Karrel
Les facteurs clés de la paix et les acteurs de la promotion de la paix ont été identifiés pour atténuer les impacts négatifs dus au manque d'infrastructures pastorales.
Après avoir partagé les résultats de l'analyse de conflit avec les parties prenantes, une série de recommandations ont été formulées pour renforcer le processus de résolution. A savoir, l'établissement d'un comité ad-hoc, une analyse plus approfondie de tous les acteurs et de leur niveau d'implication et enfin le maintien de la nature inclusive et participative du dialogue entre les acteurs du conflit.
Les interconnexions entre la fragilité climatique et les risques de conflit
Dans les 18 prochains mois, lors du passage de la phase de diagnostic à la phase de développement (et de mise en œuvre) des plans d'action, les solutions mentionnées ci-dessus permettront d'orienter le développement de plans d'action adaptés au niveau local afin de servir au mieux les communautés locales dans les zones pastorales de Farrey et de Karrel au Niger. Une série d'ateliers sera organisée dans chaque zone d'intervention pour finaliser les outils locaux respectifs afin d'établir des stratégies d'atténuation de manière participative avec tous les acteurs concernés dans la région de Dosso pour améliorer la sécurité et atténuer les conflits en cours autour des ressources naturelles disponibles.
Il est largement reconnu que le changement climatique augmente le risque de conflit, mais la complexité et la dimension contextuelle du problème rendent impossible l'adoption d'une solution unique. C'est pourquoi le projet Frexus vise à s'attaquer aux effets négatifs du changement climatique en tenant compte du contexte. L'adaptation de l'outil analytique local à des cas, des communautés et des conflits spécifiques garantira une évaluation sur mesure de la cause profonde du conflit. À long terme, ces outils et cette approche peuvent être transférés à d'autres pays ou régions, au-delà des zones pilotes, où le conflit est aggravé par le changement climatique, afin de fournir des opportunités de développement durable. La planification et la gestion intégrées et intersectorielles des ressources peuvent fournir aux personnes, aux communautés, aux régions et aux pays les moyens d'atténuer les impacts négatifs potentiels actuels de l'utilisation des ressources par un groupe ou un secteur sur un autre, tout en faisant face aux défis du changement climatique.
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